Phèdre

5     La fable et la portée de la tragédie

La vérité ?

thésée
Dieux, éclairez mon trouble, et daignez à mes yeux
Montrer la vérité, que je cherche en ces lieux.
(l. 1411–12)

La vérité ?

thésée
Quelle est donc sa pensée ? et que cache un discours
Commencé tant de fois, interrompu toujours ?
Veulent-ils m’éblouir par une feinte vaine ?
Sont-ils d’accord pour me mettre à la gêne; ?
Mais moi-même, malgré ma sévère rigueur,
Quelle plaintive voix crie au fond de mon cœur ?
Une pitié secrète et m’afflige et m’étonne.
Une seconde fois interrogeons Œnone.
Je veux de tout le crime être mieux éclairci.
(l. 1451–59)

Trop tard

thésée
O ciel ! Œnone est morte, et Phèdre veut mourir ?
Qu’on rappelle mon fils, qu’il vienne se défendre,
Qu’il vienne me parler, je suis prêt de l’entendre.
Ne précipite point tes funestes bienfaits,
Neptune ; j’aime mieux n’être exaucé jamais.
J’ai peut-être trop cru des témoins peu fidèles ;
Et j’ai trop tôt vers toi levé mes mains cruelles.
Ah ! de quel désespoir mes vœux seraient suivis !
(l. 1480–87)

Digne fils d’un héros

J’arrive, je l’appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant qu’il referme soudain.
Le ciel, dit-il, m’arrache une innocente vie.
Prends soin après ma mort de ma chère Aricie.
Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d’un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis-lui qu’avec douceur il traite sa captive,
Qu’il lui rende…

Digne fils d’un héros

                         A ce mot ce héros expiré
N’a laissé dans mes bras qu’un corps défiguré,
Triste objet, où des Dieux triomphe la colère,
Et que méconnaîtrait l’œil même de son père.
(l. 1559–70)

Point coupable

phèdre
Les moments me sont chers, écoutez-moi, Thésée.
C’est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste ;
La détestable Œnone a conduit tout le reste.

Point coupable

Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur.
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
Elle s’en est punie, et fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
(l. 1622–32)

Dynastie et destinée

thésée
                  D’une action si noire
Que ne peut avec elle expirer la mémoire !
Allons, de mon erreur, hélas, trop éclaircis,
Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils.
Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste,
Expier la fureur d’un vœu que je déteste.

Dynastie et destinée

Rendons-lui les honneurs qu’il a trop mérités ;
Et pour mieux apaiser ses mânes irrités,
Que malgré les complots d’une injuste famille,
Son amante aujourd’hui me tienne lieu de fille.
(l. 1645–54)