Phèdre

4     Vers la conscience tragique

Fureur

hippolyte
Où tendait ce discours qui m’a glacé d’effroi ?
Phèdre, toujours en proie à sa fureur extrême,
Veut-elle s’accuser et se perdre elle-même !
Dieux ! que dira le Roi ! Quel funeste poison
L’amour a répandu sur toute sa maison !
Moi-même, plein d’un feu que sa haine réprouve,
Quel il m’a vu jadis, et quel il me retrouve ! (l. 988–94)

Pressentiments

De noirs pressentiments viennent m’épouvanter.
Mais l’innocence enfin n’a rien à redouter.
Allons, cherchons ailleurs par quelle heureuse adresse
Je pourrai de mon père émouvoir la tendresse,
Et lui dire un amour qu’il peut vouloir troubler,
Mais que tout son pouvoir ne saurait ébranler.
(l. 995–1000)

Le sacré et le profane

thésée Ah ! le voici. Grands Dieux ! à ce noble            maintien
Quel œil ne serait pas trompé comme le mien ?
Faut-il que sur le front d’un profane adultère
Brille de la vertu le sacré caractère ?
Et ne devrait-on pas à des signes certains
Reconnaître le cœur des perfides humains !
(l. 1035–40)

La trahison

thésée
Ah ! qu’est-ce que j’entends ? Un traître, un téméraire
Préparait cet outrage à l’honneur de son père ?
Avec quelle rigueur, Destin, tu me poursuis !
Je ne sais où je vais, je ne sais où je suis.
O tendresse ! ô bonté trop mal récompensée !
Projet audacieux ! détestable pensée !
Pour parvenir au but de ses noires amours,
L’insolent de la force empruntait le secours.

La trahison

J’ai reconnu le fer, instrument de sa rage,
Ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage.
Tous les liens du sang n’ont pu le retenir !
Et Phèdre différait à le faire punir !
Le silence de Phèdre épargnait le coupable !
(l. 1001–13)

Le secret

hippolyte
D’un mensonge si noir justement irrité,
Je devrais faire ici parler la vérité,
Seigneur. Mais je supprime un secret qui vous touche.
Approuvez le respect qui me ferme la bouche ;
Et sans vouloir vous-même augmenter vos ennuis,
Examinez ma vie, et songez qui je suis. (l. 1086–92)

Fureur… et douleur

phèdre
Ah ! douleur non encore éprouvée !
A quel nouveau tourment je me suis réservée !
Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes yeux, l’horreur de mes remords,
Et d’un refus cruel l’insupportable injure
N’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.
Ils s’aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes     yeux ?
Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels     lieux ? (l. 1225–32)

Les rois et ‘la colère céleste’

phèdre
Qu’entends-je ! Quels conseils ose-t-on me donner ?
Ainsi donc jusqu’au bout tu veux m’empoisonner.
Malheureuse ! Voilà comme tu m’as perdue.
Au jour que je fuyais c’est toi qui m’as rendue.
Tes prières m’ont fait oublier mon devoir.
J’évitais Hippolyte, et tu me l’as fait voir.
De quoi te chargeais-tu ? Pourquoi ta bouche impie
A-t-elle, en l’accusant, osé noircir sa vie ?
Il en mourra peut-être, et d’un père insensé
Le sacrilège voeu peut-être est exaucé.

phèdre
Je ne t’écoute plus. Va-t-en, monstre exécrable,
Va, laisse-moi le soin de mon sort déplorable.
Puisse le juste ciel dignement te payer ;
Et puisse ton supplice à jamais effrayer
Tous ceux qui, comme toi, par de lâches adresses,
Des princes malheureux nourrissent les faiblesses,
Les poussent au penchant où leur coeur est enclin,
Et leur osent du crime aplanir le chemin ;
Détestables flatteurs, présent le plus funeste
Que puisse faire aux rois la colère céleste !
(l. 1307–26)

Un péril extrême

aricie Quoi ! vous pouvez vous taire en ce péril              extrême ?
Vous laissez dans l’erreur un père qui vous aime ?
Cruel, si de mes pleurs méprisant le pouvoir,
Vous consentez sans peine à ne plus me revoir,
Partez, séparez-vous de la triste Aricie.
Mais du moins en partant assurez votre vie.
Défendez votre honneur d’un reproche honteux,
Et forcez votre père à révoquer ses vœux.
Il en est temps encor. Pourquoi, par quel caprice,
Laissez-vous le champ libre à votre accusatrice ?
Éclaircissez Thésée. (l. 1329–39)