Phèdre

1     De la tragédie en 1677

‘une route un peu différente’

La pièce est montée pour la première fois le 1er janvier 1677 à l’Hôtel de Bourgogne à Paris. L’édition imprimée paraîtra la même année.

‘une route un peu différente’

Tout en imitant les anciens, Racine imprime aussi au mythe de Phèdre et d’Hippolyte une orientation nouvelle.

‘les hommes […] tels qu’ils sont’

Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres ; celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu’ils sont. Il y a plus dans le premier de ce que l’on admire, et de ce que l’on doit même imiter ; il y a plus dans le second de ce que l’on reconnaît dans les autres, ou de ce que l’on éprouve dans soi-même. L’un élève, étonne, maîtrise, instruit ; l’autre plaît, remue, touche, pénètre.

La Bruyère, Les Caractères, ‘Des ouvrages de l’esprit’, 54

Racine et ‘le Parnasse français’

Que peut contre tes vers une ignorance vaine ?
Le Parnasse français, anobli par ta veine,
Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l’équitable avenir.

Racine et ‘le Parnasse français’

Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre malgré soi perfide, incestueuse,
D’un si noble travail justement étonné,
Ne bénira d’abord le siècle fortuné
Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles ?

Boileau, Épître VII, ‘A M. Racine’, l. 75–84

‘Voicy encore une Tragédie…’

Phèdre est une œuvre en quelque sorte hybride où Racine cherche à faire valoir la primauté de la tragédie dans la culture de son temps.

‘Racine plus naturel’

Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes ; et dans celui-ci, du goût et des sentiments. L’on est plus occupé aux pièces de Corneille ; l’on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine. Corneille est plus moral, Racine plus naturel. Il semble que l’un imite Sophocle, et que l’autre doit plus à Euripide.

La Bruyère, Les Caractères, ‘Des ouvrages de l’esprit’, 54

Une question de goût

Les princes, sans autre science ni autre règle, ont un goût de comparaison : ils sont nés et élevés au milieu et comme dans le centre des meilleures choses, à quoi ils rapportent ce qu’ils lisent, ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent. Tout ce qui s’éloigne trop de Lulli, de Racine et de Le Brun est condamné.

La Bruyère, Les Caractères, ‘Des grands’, 42

Du mythe à la tragédie

Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. Quoique j’aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action, je n’ai pas laissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru le plus éclatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j’ai peut−être mis de plus raisonnable sur le théâtre.

Phèdre, ‘Préface’

Par où commencer ?

hippolyte
Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l’aimable Trézène.
Dans le doute mortel où je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisiveté.
Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
J’ignore le destin d’une tête si chère ;
J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher. (l. 1–8)

Décoration

Théâtre est un palais voûté. Une chaise pour commencer.

Registre de l'Hôtel de Bourgogne

Cet heureux temps n’est plus

théramène
Hé ! depuis quand, Seigneur, craignez-vous la présence
De ces paisibles lieux, si chers à votre enfance,
Et dont je vous ai vu préférer le séjour
Au tumulte pompeux d’Athènes et de la cour ?
Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?

hippolyte
Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face
Depuis que sur ces bords les Dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé. (l. 29–36)

lumière du jour, ombres de la nuit

phèdre
N’allons point plus avant. Demeurons, chère Œnone.
Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne.
Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,
Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
Hélas !

                                    (Elle s’assit.) (l. 153–58)

un long amas d’honneurs

hippolyte
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
S’échauffait au récit de ses nobles exploits,
Quand tu me dépeignais ce héros intrépide
Consolant les mortels de l’absence d’Alcide,
Les monstres étouffés et les brigands punis,
Procuste, Cercyon, et Scirron, et Sinnis,
Et les os dispersés du géant d’Epidaure,
Et la Crète fumant du sang du Minotaure. (l. 75–82)

pour la dernière fois

phèdre
Noble et brillant auteur d’une triste famille,
Toi, dont ma mère osait se vanter d’être fille,
Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
Soleil, je te viens voir pour la dernière fois.

O haine de Vénus ! O fatale colère !
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !

Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière, et la plus misérable.
(l. 169–72 ; 249–50; 257–58)

Entre l’amour et la politique

hippolyte
Aurais-je pour vainqueur dû choisir Aricie ?
Ne souviendrait-il plus à mes sens égarés
De l’obstacle éternel qui nous a séparés ?
Mon père la réprouve ; et par des lois sévères
Il défend de donner des neveux à ses frères :
D’une tige coupable il craint un rejeton ;
Il veut avec leur sœur ensevelir leur nom,
Et que jusqu’au tombeau soumise à sa tutelle,
Jamais les feux d’hymen ne s’allument pour elle.
(l. 102–10)